Trinidad de Cuba vue par Yoe
Hola, je m’appelle Yoelvis et je suis né dans la ville de Trinidad à Cuba. Pendant 20 ans j’ai vécu dans cette petite ville réputée pour son architecture coloniale et ses façades colorées. Mais je ne viens pas vous parler de cela, tous les guides touristiques le font déjà. Je viens vous parler de ce que l’on trouve derrière ces façades, en poussant les vielles portes décorées au fer forgé. Et de la façon dont on vit à Trinidad, ce qu’aucun livre ne vous expliquera.
La vie à Trinidad
A Trinidad, chaque quartier constitue une grande famille. Le mien, c’est celui de la calle Angustia. Tout le monde se connaît, passe du temps ensemble et s’entraide. Bien sûr, comme dans toutes les familles il y a des personnes avec qui on s’entend plus ou moins bien, il peut y avoir des engueulades, mais en cas de vrais problèmes, on passe au-dessus et tout le monde se serre les coudes. En général, après le travail, tout le monde mange chez soi assez tôt, vers 19h30. Et ensuite nous sortons tous dans la rue. On s’assoit sur les perrons des uns et des autres et on discute de la vie, de la journée écoulée, et surtout, on partage les derniers ragots. Tu savais que fulano et fulana (un tel et une telle) s’étaient séparés ? Et que fulana était enceinte ? Que fulano avait rencontré une étrangère et allait partir avec elle « pa’ la yuma » (à l’étranger ) ? On appelle ça « le chisme », le commérage, et ça c’est vraiment emblématique de chez nous !
Au menu des conversations, il y a aussi les problèmes qu’on a réussi ou non à résoudre. « Resolviste ? », qui signifie « tu as pu résoudre le problème ? » doit être l’expression la plus utilisée à Cuba. Et des trucs à résoudre, il y en a beaucoup. Par exemple, se procurer de la nourriture. Dans tout Cuba, les magasins sont plutôt vides, mais Trinidad est particulièrement mal approvisionnée. Et en plus, dès que quelque chose arrive, viande, beurre, etc, ce sont les propriétaires des maisons d’hôtes, qui ont un business avec les fournisseurs, qui sont servis les premiers. Souvent, il ne reste plus grand chose pour les autres ensuite…
Autre problème, celui de l’eau. Normalement, il est censé y avoir de l’eau courante mais en réalité les robinets ne sont ouverts qu’une à deux fois par semaine. Il faut alors se précipiter pour remplir les citernes pour ceux qui en ont, ou tous les récipients disponibles, du baril à la casserole, pour les autres. Parfois l’eau n’est pas ouverte pendant plus d’une semaine, l’agacement monte, alors la présidente du CDR, le comité de la révolution, va faire la demande d’un camion citerne qui vient nous approvisionner. Grosse cohue, mais toujours dans la bonne humeur, quand tout le quartier vient se ravitailler ! Car malgré les difficultés, on garde toujours notre joie de vivre, envers et contre tout. Et on profite de tout ce qu’on peut prendre à la vie !
Bien sûr, on n’a pas les moyens de fréquenter souvent les nombreux bars et restos du centre historique où se pressent les touristes. 1 CUC l’entrée, ou 2 CUC le mojito, quand on en gagne 20 par mois, ce n’est pas possible. Mais une fois de temps en temps, si il y a un groupe de musique ou un humoriste qu’on a vraiment envie de voir qui passe, on se paie ce luxe.
L’été, nos soirées on les passe à la plage. Et on finit en général avec un taux d’alcoolémie plutôt élevé… Notre plage, ce n’est pas celle d’Ancon, la plus belle, la préférée des vacanciers. Elle est à 12 kms, ça fait loin quand on n’est pas véhiculé. Nous, on enfourche nos vélos et on va à la playa de la Boca, qui est seulement à 4 kms de la ville. Il n’y a pas de sables mais des rochers. Peu importe, on y passe de bons moments.
Le week-end, souvent quelqu’un passe avec un camion, et c’est tout le quartier qui s’entasse à l’arrière, direction la rivière, à la Pastora. On emmène de quoi manger avec nous et on pique-nique tous sur place, on passe la journée à se baigner avant de rentrer avec le même camion quand le soleil commence à descendre.
Et puis il y a les fêtes : le carnaval, la fête de la culture,… Là tout le monde descend dans les rues, sa bouteille à la main. Pas besoin de payer les boissons dans les bars ou l’entrée en discothèque, c’est dans la rue que ça se passe ! Musique à fond dans les enceintes, on rit, on chante, on danse, on profite.
Mes conseils de balades
Ca y’est, vous connaissez déjà mieux ma ville ! Vous voulez aussi quelques conseils de balades ? Ici, les possibilités ne manquent pas. Prévoyez au moins une demi-journée pour vous promener dans le centre historique.
Vous pouvez bien sûr également aller vous prélasser sur la plage d’Ancon, typiquement caribéenne. Si vous êtes plus attiré par les randos, alors c’est à Topes de Collantes qu’il faut aller, à une demi-heure de Trinidad en voiture. Vous pourrez y rejoindre à pied une des cascades du coin, et même vous y baigner, du moins si l’eau froide ne vous fait pas peur !
En fin d’après-midi, je vous conseille de partir vous promener dans la vallée de los Ingenios, qui étire ses champs de cannes à sucre sur 40 kms entre Trinidad et Sancti Spiritus. En espagnol, « ingénios » signifie « fabriques de sucre ». Au 19ème siècle, la vallée en comptait plus de 50, et plus de 10000 esclaves y furent contraints de travailler. On raconte que c’est ici qu’un esclave s’est soulevé pour la première fois à Cuba, déclanchant par le suite une série d’évènements et de manifestations contre l’esclavagisme dans toute l’île. Pour vous y rendre, il vous faut prendre la route qui mène à Sancti Spiritus. Quelques kilomètres après la sortie de Trinidad, perché sur une petite colline, vous rencontrerez un bar, « le mirador ». Allez y prendre un café, vous bénéficierez d’un panorama inprenable sur la vallée, et l’ambiance est vraiment apaisante.
Vous pouvez ensuite poursuivre votre route sur quelques kilomètres, toujours vers Sancti Spiritus, pour rejoindre l’hacienda Manaca Iznaga, qui appartenait à la famille Iznaga, de riches sucriers qui exploitaient les esclaves. Si vous êtes sportifs, vous pouvez gravir les escaliers de la tour de 7 étages située à l’entrée de l’hacienda. Elle servait autrefois à surveiller les esclaves dans les champs ; aujourd’hui, vous pourrez faire depuis son sommet de superbes photos de la vallée.
En soirée aussi, les options sont nombreuses. Comme à la Havane, vous pouvez désormais aller boire un verre au Floridita, ou à la Bodeguita del Médio, puisque des répliques des célèbres bars de la capitale y ont été ouverts en 2014, à l’occasion du 500ème anniversaire de la fondation de la ville. Mais je vous conseille plutôt d’aller dans un lieu unique dans l’île, la casa de los Beatles. Je ne sais pas si vous le savez, mais à la fin des années 60, les Beatles, qui faisaient vibrer le monde avec leur musique, étaient interdits à Cuba, car considérés comme des artistes « dégénérés ». Ce qui n’empêchait pas beaucoup de cubains de les écouter clandestinement… Depuis, les choses ont beaucoup changé, comme en témoigne l’existence de ce bar, et même l’inauguration d’un parc John Lennon à la Havane par Fidel Castro, des années plus tard !
Vous pouvez aussi aller faire un tour dans mon bar préféré, la casa de la Trova, qui tient son nom des trovadores, ces chanteurs qui s’accompagnent seuls à la guitare et que vous pourrez écouter « en vivo (en direct) ». Vous y trouverez aussi toujours quelqu’un qui vous apprendra quelques pas de son cubano si vous souhaitez vous mêler aux danseurs qui évoluent sur la piste.
Casa de la trova de Trinidad
J’espère vous avoir donné envie de découvrir ma ville, peut être avec un autre regard ! Si vous avez des questions ou que vous voulez d’autres infos, n’hésitez pas à m’en faire part à partir de notre page contact, j’y répondrai avec plaisir !