Nyurka : l’internationalisme cubain, une façon “de solder notre dette à l’humanité”
Mon nom est Nyurka, j’ai 51 ans et je vis à Trinidad, la ville musée des Caraïbes. J’habite avec mon plus jeune fils et ma mère. Elle a son propre appartement mais il est délabré, et je préfère l’avoir à mes côtés pour prendre soin d’elle.
J’ai été mariée une fois, avec le père de mon fils aîné qui vit aujourd’hui en France. Ensuite j’ai eu mes relations mais elles n’ont pas fonctionné. Actuellement j’ai une relation stable depuis 10 ans, avec une personne bonne et responsable, très “luchador” (combatif), qui me comprend et me supporte, parce que parfois il faut reconnaître que je suis difficile, j’ai un caractère fort !
Je suis diplômée en “defectologia” (théorie du développement et de l’éducation des enfants présentant un handicap mental), et en ce moment je travaille comme orthophoniste dans une école spéciale pour les enfants qui ont un retard mental important ou modéré.
Beaucoup d’entre eux sont autistes ou atteints du syndrome de Dawn. Mon travail porte sur la thérapie du langage et l’activation des processus psychiques affectés. Le travail que je réalise me fascine car j’adore ces enfants, vraiment ils ont quelque chose de spécial. Ils sont ma raison d’être et je fais mon maximum pour atteindre les objectifs que je me fixe avec eux. Mon salaire est de 740 pesos cubains mensuels (environ 26 euros par mois).
J’ai été sélectionnée pour accomplir une mission dans la République bolivarienne du Vénézuela en 2006, à l’époque où ont été construits les centres de réhabilitacion intégrale qui proposent des services de physiothérapie, orthophonie, podologie et thérapie occupationnelle.
J’y suis restée environ 4 ans. Nous étions une équipe de six compagnons cubains : un médecin spécialisé en physiothérapie, deux licenciés en culture physique, deux techniciens en réhabilitacion et moi. A notre arrivée, nous avons été accueillis par des familles vénézueliennes, nous avons vécu six mois avec eux et ensuite on nous a attribué une résidence que nous partagions tous les six.
J’étais basée dans l’Isla Margarita, un état de l’opposition (à Chavez ndrl), mais nous étions respectés et nous recevions toutes les personnes qui nécessitaient notre aide, jamais nous ne demandions à quel parti ils appartenaient et nous échangions avec tout le monde. Bien sûr, il y avait des personnes qui nous insultaient en raison de notre nationalité cubaine, mais d’autres prenaient notre défense. Ne pas répondre à la provocation était la règle.
Ce fut une très belle expérience, nous avons observé et entendu toute la reconnaissance à Chavez et à Fidel que témoignaient ces personnes qui avaient toujours été pauvres et exclues, qui souffraient de pathologies qu’elles n’avaient jamais pu faire soigner car elles n’avaient pas de “reales” comme on dit là-bas, en référence à la monnaie vénézuelienne. Beaucoup n’ont pas pu obtenir une réhabilitation complète de leur santé à cause du temps perdu sans recevoir de soins, mais ils ont amélioré leur qualité de vie. Grand nombre d’entre eux ont été frappés par le handicap très jeunes, beaucoup étaient paralysés, notamment à cause de la violence engendrée par la drogue.
Cela a été merveilleux d’aller là-bas, au moment des aux revoirs il y a eu des larmes, des paroles de reconnaissance éternelle et des promesses de revenir un jour ou l’autre et de nous revoir. Depuis, je conserve autour du cou une cordelette avec un pendentif de la Vierge de la vallée, la patronne de l’orient vénézuelien, un cadeau que me fit une personne âgée pour me protéger. Quelle plus belle preuve d’amour peut-on recevoir ? Aujourd’hui ces personnes qui nous ont accueillis comme des membres de leur famille, qui étaient si bonnes à notre égard alors qu’elles étaient très pauvres, et qui nous auraient donné jusqu’à leurs vies, me manquent énormément.
Pendant notre mission, nous recevions une rétribution de 400 dollars par mois, que nous utilisions pour la nourriture, le transport et la communication avec nos familles.
Les cubains, nous avons été éduqués sous la consigne selon laquelle “être internationaliste, c’est solder notre propre dette avec l’humanité”. Voilà pourquoi nous accomplissons nos missions. Pour nous Che Guevara fut un grand exemple. Partir en mission est un honneur, c’est quelque chose dont les cubains rêvent, indépendamment du gain que cela représente pour nous, puisque c’est aussi l’occasion d’obtenir des choses qu’il nous serait impossible de nous procurer à Cuba et qui nous font défaut : tv, réfrigérateur, ordinateur, etc.
Je vous dis cela mais il ne faut pas en faire une mauvaise interprétation. Ces missions se préparent avec l’objectif d’aider d’autres peuples frères qui le nécessitent parce qu’ils ont été frappés par une catastrophe naturelle (tremblement de terre au Pakistan, à Haiti) ou une épidémie (choléra, ébola), et nous mettons parfois nos vies en danger pour accomplir ces missions. Mais en contrepartie, combien de vies sont sauvées grâce à ces aides opportunes ?
Peuvent partir en mission toutes les personnes qui sont volontaires et qui ont la préparation et les compétences nécessaires : médecins, infirmiers, maîtres d’école, etc. Notre peuple, à travers son histoire, a donné des preuves de solidarité, des milliers d’hommes et de femmes ont ainsi tendu leurs bras pour donner leur sang.
Je me souviens, j’étais enfant quand j’ai envoyé au Vietnam un jouet pour une autre petite fille, et quelle joie nous ressentions, nous les enfants cubains, à envoyer ces jouets ! Nous voulions tout leur donner à ces petits qui se sont retrouvés sans rien à cause de la guerre. Beaucoup d’entre eux avaient perdu leurs parents, et leurs maisons se sont remplies de jouets, de vêtements et de chaussures que nous leur adressions. Nous leur écrivions également des lettres pour qu’ils ne soient pas tristes. Est-ce qu’il y a une plus grande satisfaction que celle-ci ? Aujourd’hui encore je m’en rappelle et je suis émue !
Des anecdotes comme celle-ci il en existe des milliers, elles doivent être écrites quelque part et sinon tant pis, les cerveaux conservent l’information, nous ne sommes pas déments.
Quand on parle de Cuba je m’enflamme, c’est mon pays et je suis fière d’être née ici. Bien sûr il y a des choses négatives et positives. Nous avons des besoins parce que les produits manquent, et quand il y en a ils sont très chers, le salaire n’est pas suffisant. Tout ceci est connu, mais nous avons aussi l’éducation et la santé gratuites.
Je ne peux pas parler du futur, j’essaie de vivre dans le présent. Aujourd’hui, j’aimerais obtenir un contrat de travail dans un pays de langue espagnole pour économiser un peu d’argent et ouvrir un petit commerce qui me donnerait de quoi vivre quand je serai à la retraite. C’est difficile à dire mais l’argent que je gagne avec mon travail n’est pas suffisant. Cette double monnaie que nous avons sur l’île, pour moi c’est le point le plus négatif car le change pesos cubains-pesos convertibles ne cesse d’augmenter (au détriment des cubains, qui sont payés en pesos cubains ndrl), et aujourd’hui dans les magasins tout se paie en pesos convertibles (CUC).
En dehors de mon travail je fais beaucoup de choses, même si je sors peu dans les lieux nocturnes de divertissement. J’aime aller à la plage et cela fait plus de trois ans que je n’ai pas été en vacances, j’aime danser mais cela fait aussi un moment que je n’y ai plus été. J’aime profiter d’un bon café mais je ne le fais plus depuis que j’ai arrêté de fumer. Par dessus-tout j’aime parler, faire des blagues et me réunir en soirée avec les gens du quartier pour converser, rire et commenter ce qui s’est passé dans la journées. “Faire des rondes du quartier informatives et instructives”, c’est ainsi que nous appelons nos commérages jejeje.
Ah, si ! Entre toi et moi, j’aime aussi jouer aux jeux sur l’ordinateur, je crois que c’est devenu un vice, c’est pour ça que j’ai arrêté mes autres activités.